C/L : Pourquoi ce Glossaire historique et héraldique ?
JFD : Ma bibliothèque comporte plus de 600 livres, dictionnaires et revues ; le Glossaire Historique et Héraldique s’efforce d’en retenir le principal.
C/L : A qui s’adresse principalement cet ouvrage ?
JFD : De façon générale, je serais tenté de répondre « aux amoureux de la langue française et de l’Histoire de l’Europe». A notre époque, l’érosion du vocabulaire est un phénomène alarmant ; j’avais envie de faire un geste pour les mots oubliés et pour ceux qui subirent une totale dérive de sens ; là est l’origine de son sous-titre : « L’Archéologie des mots». Dans le même temps, les programmes scolaires sont à ce point chargés, que l’ Histoire a été réduite à sa portion congrue. Par manque de temps, d’espace ou volonté, cette matière a subi une succession de graves schématisations ; l’exercice, qui consistait à faire entrer des siècles de civilisation dans quelques heures de cours, s’est traduit par des caricatures et d’évidentes tentatives de récupérations idéologiques.
C/L : Qu’entendez vous par là ?
JFD : D’un côté, la schématisation simpliste, « façon Michelet », qui voudrait nous faire croire que notre civilisation soit sortie des ténèbres en 1789. De l’autre, la thèse que défendent ceux qui estiment que la Révolution fut une totale catastrophe
C/L : Où vous situez vous, entre ces deux extrêmes ?
JFD : Il n’y eut, hélas, jamais d’âge d’or. Si le brusque tournant de l’ Histoire survenu en 1789 fut le résultat inévitable des dérapages successifs de la Monarchie absolue, il n’en reste pas moins qu’il existait, au moins dès le XIIIe siècle, d’évidents idéaux de progrès et de libertés. Chaque époque possède ses richesses et ses zones obscures, ses utopistes et ses brutes. Idéaliser le Moyen Age, l’Ancien Régime ou n’importe quelle autre époque historique, est aussi aberrant que de les condamner en vrac.
C/L : Pourquoi ce livre confère-t-il une si grande place à l’art héraldique ?
JFD : Le blason, qui concerne toutes les classes de la société, est peut-être le seul héritage qui soit commun à l’ensemble des cultures européennes ; par extension, c’est aussi un lien de parenté direct avec les deux Amériques et aujourd’hui l’Afrique. Dans le même temps, ce qui était un langage universel depuis le XIIe siècle, est non seulement devenu un support de rêve, mais surtout symbole de tradition immémoriale. En une époque qui voit nos contemporains en mal d’identité, la symbolique du blason répond à une très large demande du public.
C/L : L’héraldique est aussi un langage.
JFD : L’héraldique est d’abord un langage ! C’est l’art de définir, verbalement mais avec une extrême précision, des dessins qui sont parfois d’ une très grande complexité. C’est la qualité de ce verbe, qui m’a initialement attiré vers cet art.
C/L : Il y eut tellement de publications sur l’Héraldique, que l’on est en droit de se demander ce que cet ouvrage « de plus » peut apporter de nouveau sur le sujet.
JFD : Bien sur. Tous les livres traitant de ce sujet se sont efforcés d’ isoler l’art du blason de tout contexte historique. A l’inverse, je me suis employé à développer les chapitres habituellement évités.
C/L : Un exemple concret ? JFD : Les traités se contentent de dire que ce qui différencie un Comte d’un Baron, est que le premier timbre d’une couronne à neuf perles et l’autre d’ un simple bandeau. C’est un peu rapide, car la noblesse suivait des lois précises. Or, le mot « noble » possède à lui seul plus de vingt significations ! Développant la chose nobiliaire, je me suis retrouvé obligé d’expliquer l’usurpation de noblesse, donc la bourgeoisie. Faisant cela, j’ai réalisé que ceux qui tentaient de se faire passer pour nobles, avaient jadis plus l’idée de berner le fisc que de soigner leur ego. Il était dès lors d’autant plus incontournable de traiter de l’impôt, que les blasons « roturiers », allégrement distribués par l’Armorial Général de France à partir de 1696, répondaient à des mesures fiscales.
C/L : Tous les blasons n’appartiennent donc pas à la noblesse ?
JFD : Non seulement le blason n’a jamais été son apanage, mais sur les 110 000 blasons enregistrés par l’Armorial Général, seulement 25 000 appartiennent à des familles nobles.
C/L : Vous avez donc estimé devoir tout replacer dans son contexte.
JFD : Il faut mettre ceci deux fois au pluriel, car le sens des mots a sans cesse changé dans le temps et il variait souvent d’une province à l’autre. De fil en aiguille, ce qui devait initialement être un glossaire héraldique est devenu un « dictionnaire héraldique, symbolique, militaire, nobiliaire, maritime, artisanal, rural et fiscal ». Pourquoi isoler une pièce de puzzle, alors qu’elle ne trouve sa cohérence que par rapport à ses voisines ?
C/L : Ne craignez-vous pas que ces thèmes soient un peu élitistes ?
JFD : Tout en refusant le nivellement par la base, je me suis efforcé de faire en sorte d’en rendre la lecture accessible.
C/L : Il est même certains passages qui font rire ou sourire.
JFD : La vie m’a effectivement persuadé que l’on peut faire les choses sérieusement sans pour autant se prendre au sérieux.
C/L : Vous pensez donc que le passé s’adresse à notre époque ?
JFD : Face à la mondialisation, nos contemporains éprouvent le besoin de retrouver leur identité, leurs racines, de s’appuyer sur de vraies valeurs ; ils ont aussi besoin de s’évader des tracas du quotidien. Si les XVIIIe et XIXe siècles firent du blason un objet de vanité, cela n’enleva rien à sa tradition symbolique originelle et encore moins à la part de rêve qu’il véhicule. Ce sont justement ces dimensions, qui concernent le plus notre temps.
C/L : Quelles sont vos garanties de sérieux au plan historique ?
JFD : Au-delà d’une trentaine d’années de recherches et d’expérience professionnelle, en qualité de journaliste historien et de conseiller historique pour le cinéma, la création d’un important fonds d’exposition, « Héraldica », m’a obligé à vouer tout une année de recherches très pointues sur ce sujet. Si l’on ajoute à cela les deux années supplémentaires qu’ impliquait l’écriture de ce Glossaire, l’on commence à réaliser à quel point servir l’Héraldique représente un choix de vie. Mais je crois que le plus beau témoignage de confiance revient à Annie Regond, qui me fit l’honneur et l’amitié de préfacer ce livre.
C/L : A qui s’adresse cet ouvrage ?
JFD : Malgré des apparences trompeuses, ce Glossaire s’adresse à un très large public. Aux enseignants et étudiants en Lettres, Histoire, Sociologie et Histoire de l’Art. Aux passionnés de Généalogie, historiens, archéologues et responsables du Patrimoine. Je dois aussi citer les romanciers, les nouvellistes et à ceux qui appartiennent aux professions de l’image : scénaristes, réalisateurs, metteurs en scène, décorateurs et accessoiristes, ainsi que les publicitaires et autres concepteurs en communication. Il s’ adresse aussi aux personnes attachées à la symbolique, dont les militaires, les passionnés de Militaria. Les artisans d’art et les illustrateurs y trouveront une foule de renseignements, tout comme, à un tout autre niveau, les amateurs de mots croisés et de Scrabble.
C/L : En un mot, « aux curieux », le mot étant à prendre comme un compliment ?
JFD : La curiosité est effectivement la plus belle des qualités.
C/L : Jean-François, vous êtes un passionné ?
JFD : J’aurais bien du mal à le nier après m’être investi tant d’années dans ce travail, mais faites attention, il est des passions contagieuses. J’espère que vous ne tarderez pas à vous en apercevoir !
Cet éditeur ayant disparu, il ne m’en reste que quelques exemplaires et je doute qu’il puisse être réédité !